20110926

Histoire




1. Reconnaissance de la race

Tous ceux qui s’intéressent au Landseer TCE savent que cette race n'a été reconnue que durant la seconde moitié du 20ème siècle: la publication du standard date en effet du 24 août  1960.

Pour en arriver là, il a fallu parcourir un très long chemin parsemé d’embûches ... bureaucratiques.

Nous avons réussi à retrouver quelques échanges de courrier entre les clubs allemand et suisse du Terre-Neuve et la Fédération Cynologique Internationale (FCI). Dans deux lettres datées du 15 décembre 1955 et du 10 octobre 1956, le Deutschen Neufundländer Klub (Club Allemand du Terre-Neuve) et le Schweizerischer Neufundländer Klub (Club Suisse du Terre-Neuve) demandaient à la FCI d'autoriser aux deux variétés de Terre-Neuve (le noir et le landseer) de concourir séparément pour l’attribution des certificats d’aptitude aux championnats internationaux de beauté (CACIB). En effet, à l’époque, le Landseer n’existait pas en tant que race, le terme "landseer" correspondant à un Terre-Neuve noir et blanc, ce qui est encore le cas aujourd'hui dans les pays anglo-saxons (Canada, Etats-Unis, Irlande, Royaume Uni).

Le courrier du DNK est très intéressant, car il attire l’attention sur certains points fondamentaux qui pourraient permettre la différenciation des deux variétés. Dans cette lettre, qui fait (tout de même) six pages, le DNK cite en particulier le Professeur A. Heim de Zürich. En effet, ce grand cynologue a traité les origines du Terre-Neuve dans un de ses ouvrages et en est arrivé à la conclusion que le Terre-Neuve noir et le Terre-Neuve landseer n’ont pas d’origine commune.

Le DNK rappelle également qu’à cette époque, les élevages de Terre-Neuve étaient surtout situés en Allemagne, ainsi qu’en Suisse, Hollande, Suède et Finlande. Il note de même qu’en Allemagne et en Suisse, les Terre-Neuve noirs et les Terre-Neuve landseer sont jugés séparément en concours.

Nous apprenons aussi que: « l’élevage du Terre-Neuve landseer sur le continent a été basé sur le landseer pur de l’ancien type anglais. Les élevages principaux se trouvaient en Suisse et, plus tard, en Allemagne. Après la première guerre, les Landseer étaient menacés d’extinction sur notre continent. En Angleterre, ils avaient complètement disparu. Pour leur permettre de survivre, on essaya des croisements occasionnels avec des Terre-Neuve noirs et on obtint de bons résultats. On put alors constater le bien fondé des conclusions du Professeur Heim, à savoir qu’il s’agissait chez les Terre-Neuve noirs et les Landseer noir et blanc de deux races de Terre-Neuve distinctes. Les particularités physiques du Landseer, ainsi que sa couleur blanche avec des plaques noires ressortirent nettement chez les descendants de ces croisements comme des signes caractéristiques du Landseer. On retrouva aussi les particularités distinctes de la race noire mais on ne constata pas de fusion des deux types».

Les mariages entre Landseer continuèrent et ont permis à l’élevage de cette race de se développer sur le continent. Cette lettre attire enfin l’attention de la FCI sur le fait que les deux types de chiens sont en fait originaires de deux races distinctes.

Une circulaire de la FCI datant du 28 octobre 1957, ayant pour titre « Standards », stipule que « la commission des standards propose de reconnaître pour les races suivantes (27 races sont listées avec leur pays d’origine) le standard établi par les pays ci-après désignés». Pour le Terre-Neuve et le Landseer, la FCI propose d'utiliser comme standard officiel celui du Canada. Il est intéressant de constater que le Landseer est cité au même niveau que le Terre-Neuve comme s’il s’agissait de deux races distinctes, alors que l’on sait que la race n'a été reconnue qu’en 1960.

En réaction à cette circulaire, les deux clubs allemand (DNK) et suisse (SNK) ont écrit à la FCI le 23 novembre 1957 afin de faire opposition à la proposition de cette dernière. Rappelant que, contrairement au Terre-Neuve noir pour lequel les standards remontent à 1890 (grâce au club anglais du Terre-Neuve créé en 1896), le Landseer a surtout bénéficié des efforts soutenus des éleveurs allemands et suisses (dont les clubs de race ont été créés respectivement en 1893 et en 1925) qui ont largement amélioré les critères et redéfini le standard d'origine.

A titre d'illustration, cette lettre précise que le club américain (dont fait partie le Canada) n'a été créé qu'en 1914: en 25 années d'existence, ce club n'a compté que 73 Terre-Neuve noirs et 9 Terre-Neuve landseer. Pendant ce temps, de 1893 à 1909, le club allemand a déjà enregistré 1083 chiens; ce nombre est passé à 17000 vers 1955. Quant au club suisse, de 1884 à 1957, 2400 chiens ont été recensés. Aucun autre pays n'étant en possession de tant d'enregistrements, il est ainsi normal que le standard allemand/suisse soit utilisé, tant pour le Terre-Neuve noir que pour le Landseer.

Comme on le voit, la longue marche vers la reconnaissance du Landseer TCE en tant que race distincte n'a pas été facile ... 

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Sources: (courtoisie : Mme Jacqueline Zürcher et Mr. Adri Van der Weyde) 
courrier du DNK à la FCI en date du 15 décembre 1955
courrier du DNK à la FCI en date du 10 octobre 1956
circulaire de la FCI en date du 28 octobre 1957
courrier du SNK à la FCI en date du 23 novembre 1957
réponse de la FCI au SNK en date du 2 décembre 1957

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2. Sir Edwin Landseer


Sir Edwin Henry Landseer  (7 mars 1802 - 1er octobre 1873) est un peintre et sculpteur britannique de la période « romantique » du XIXème siècle. Il a été rendu célèbre pour ses peintures animalières, en particulier chevaux et chiens, ainsi que pour ses paysages d’Ecosse.

Il est également connu pour ses sculptures: en 1866, il sculpte la statue de chasse en bronze représentant un cerf encerclé par des chiens. On le connaît surtout pour les lions de bronze qui se trouvent aux pieds de la statue de Nelson, à Trafalgar Square (Londres).

 

Edwin Landseer est le fils de John Landseer, un graveur sur cuivre. Un de ses frères, Charles Landseer, est un peintre historien  très connu. Edwin Landseer fait ses études chez son père et chez Benjamin Robert Haydon (1786-1846),  un autre grand peintre historien  très réputé de cette  époque.

A l’âge de 13 ans, E. Landseer présente son travail à la Royal Academy dont il deviendra membre à  24 ans, puis académicien en 1831. En 1851, E. Landseer se rend en Écosse et peint un de ses plus beaux tableaux, Monarch of the Glen, que l’on peut voir aujourd’hui au Museum of Scotland.


Après avoir été élu membre de la Royal Academy,  il devient peintre à la cour de la reine Victoria qui le nommera chevalier et l’anoblira en 1850. En 1866, il refusera le poste de président de la Royal Academy.

E. Landseer se consacra de préférence à la peinture animalière. Il gagna sa vie en faisant des portraits de chiens de riches Anglais. Après un important problème de santé en 1840, l'artiste restera dépressif et très malade. Il continuera néanmoins de peindre jusqu’à sa mort en 1873.


"Lion" 1824



 
 "Saved!" 1856
              

Il sera celui qui donnera son nom à la variété blanche et noire du Terre-Neuve, «  notre Landseer ». Un chien au nom de peintre !

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3. Les débuts

Faire des recherches sur les origines du Landseer grâce aux nombreux ouvrages publiés dès 1732, ainsi que par le biais des nombreux tableaux le représentant, permet de remettre en question certaines idées reçues. Le Landseer n’est pas  dérivé du Terre-Neuve. Ce sont deux races distinctes. Reconnu en 1960 par la Fédération Cynologique Internationale (FCI standard n°226), notre grand chien a été sauvé de l’oubli après la seconde guerre mondiale par des éleveurs passionnés. Mais d’où vient ce grand chien blanc et noir ?

 
Le Landseer est originaire de l’île de Terre-Neuve au Canada. Il fut importé dans les années 1600 en Europe. Tous les écrits et les peintures le nomment « Newfoundland dog » (chien de Terre-Neuve) et le décrivent comme un grand chien blanc et noir. Le Terre-Neuve actuel noir, plus trapu, n’arriva en Europe qu’à partir de 1820.

En 1497, John Cabot, cherchant une route vers les Indes en passant par le nord, aborde l’île de Terre-Neuve, qui fut annexée à l’Angleterre en 1583 par Sir Humphrey Gilbert. Bien avant J. Cabot, dans les années 1000, les Vikings avaient, eux aussi, abordé l’île. De nombreuses fouilles archéologiques ont prouvé leur présence à cette époque.

Dès le 18ème siècle, les marins basques vinrent chasser la baleine dans les eaux de Terre-Neuve, amenant vraisemblablement leurs chiens des Pyrénées avec eux. L’île a également été habitée par des indiens Beothuk qui utilisaient de grands chiens pour leurs attelages lors de leurs déplacements.

Notre Landseer descendrait donc, mais dans quelle proportion - il est impossible d’en être certain, d’un « joyeux » mélange de chiens ours des vikings, des grands chiens des indiens et des chiens des Pyrénées des marins basques.

Il n’est pas sûr non plus que J. Cabot ait ramené les grands chiens blancs et noirs en Angleterre. Aucun élément ne peut l’affirmer. Cependant, une peinture datant de 1625 a été trouvée: elle représente un « Landseer » avec une famille noble. Plus tard, vers 1655, un autre tableau montre le jeune Henry Sidney avec son « Landseer ». Les archives nous indiquent que la famille Sidney, des comtes de Romney, est liée avec Sir Humphrey Gilbert qui annexa l’île de Terre-Neuve en 1583. De là à penser que les « Landseer » ont été importés avec l’aide des comtes de Romney, le pas est vite franchi.

Toujours est-il que, de 1625 à 1840, on trouve de très nombreux tableaux montrant le « Landseer » comme chien de compagnie, de chasse, de travail à l’eau, etc. Il semble qu’à cette époque, il était un chien très prisé, tant chez les aristocrates que chez les gens du peuple. Lorsque l’on examine tous les tableaux, on retrouve notre Landseer actuel dans sa morphologie, toujours blanc et noir et toujours très proche du maître. On constate aussi sa présence dans de très nombreux livres publiés entre 1778 et 1880, mentionnant toujours un grand chien blanc et noir.

Notons qu’une peinture de 1805 de G. Stubbs montre un « Landseer », le Terre-Neuve actuel n’ayant fait son apparition en Angleterre qu’en 1820 ...


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4. 1880: de "Newfoundland dog" à "Landseer"

C’est en 1880 que le nom de  « Landseer » fut donné à la race par le Dr. Gordon Stables, cynologue réputé en Angleterre, pour le différencier du Terre-Neuve.

Pourquoi « Landseer » ? Parce que c’est le nom du célèbre peintre animalier renommé de l’époque, Edwin Landseer, qui a peint 29 fois ce gros nounours blanc et noir, dont le portrait de Paul Pry en 1831 qu’il nomma « A Distinguished Member of the Humane Society ».


Bien des légendes sont associées au nom de Paul Pry.

Paul Pry, un marin ? 

Un timonier sur le navire “Lydia“ du nom de Paul Fry ramena un jour un chien de l'île de Terre-Neuve: ce chien de Terre-Neuve, type Landseer, au grand cœur, était à la fois un amoureux de l’eau et de l’homme. Ce grand chien puissant aida les pêcheurs à tirer leurs filets.

Il tentera de sauver son maître Paul de la noyade à deux reprises. La première fois, il réussira de justesse, mais échouera la seconde fois: le marin Pry s'est noyé alors dans les flots.

Le chien de Paul Pry restera néanmoins présent sur les quais, sauvant à plusieurs reprises des naufragés. Ce chien sera nommé membre d’honneur de sauvetage par la société britannique de sauvetage qui s’est occupé de lui après le décès de son maître.

Paul Pry, un Newfoundland dog ?

Une autre version raconte que  lors d’une balade en ville, Sir Edwin Landseer rencontre cette magnifique créature, qui porte entre les dents un petit panier. Il s’agit de Paul Pry, un Newfoundland dog blanc et noir, en compagnie de sa maîtresse, Mme Smith, cousine de Edwin Landseer.

Edwin Landseer est tellement épaté par ce chien qu’il le demande en modèle pour le peindre.
Cette peinture servira de motif pour la médaille qui sera décernée dans le port à Bob, un autre chien de Terre-Neuve, type Landseer, qui aurait  sauvé  près de 23 naufragés.

La question se pose donc de savoir  si Bob n’était pas le chien du marin dans notre première histoire, faussement nommé Paul Pry ?

En tous les cas, les grands chiens blanc et noir étaient très appréciés en Angleterre dans ces années là. Ils étaient à la fois des chiens à la mode pour les classes  privilégiées, et à la fois prisés des marins..

C’est lorsque la population de ces grands chiens en provenance de Terre-Neuve diminua, que l’on commença en Angleterre les premiers élevages, d’après le modèle  du chien Paul Pry, peint par Sir Edwin Landseer. 

C’est donc grâce au portrait du chien  Paul Pry  que le Newfoundland dog reçut  un nom de maître, un nom de peintre ... Le Landseer était né !

Néanmoins, il fallut encore bien des années, avant que le Landseer soit reconnu comme race à part entière. Jusqu’en 1960, il restera associé au Terre-Neuve, son cousin de l'île lointaine d'outre-Atlantique: c’est en effet en 1960 que la race fut reconnue par la FCI.

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5. Début de l’élevage du Landseer sur le continent européen

Grâce aux  recherches entreprises par le professeur Albert Heim (1849-1937) en Suisse,  il est possible de retrouver les traces du Landseer sur le continent européen. Albert Heim, professeur de géologie et cynologue passionné, a créé en 1929 la Société Cynologique Suisse et fut par ailleurs un membre très engagé et réputé du « Club du Terre-Neuve pour le Continent ».

Il est convaincu que le Landseer et le Terre-Neuve sont deux races bien distinctes et publie, en 1927, son premier ouvrage qui présente aux lecteurs deux variétés  distinctes du Terre-Neuve. N’oublions pas que le Terre-Neuve et le Landseer étaient considérés officiellement à l'époque comme d'une même race.

Le professeur Heim, qui restera éleveur de Terre-Neuve et n’aura jamais lui-même de Landseer, achète plusieurs Terre-Neuve en Angleterre et est souvent confronté aux querelles internes du club du «Newfoundland Dog». Ses contacts avec les éleveurs de Terre-Neuve et de Landseer lui donnent la possibilité d’approfondir ses connaissances sur les deux « races »

A l’exposition de Berlin, en 1880, on découvre le premier standard dans lequel le nom du Landseer est nommé comme tel. Nous retrouvons ce standard dans le livre d’élevage N°2 du Deutscher Landseer Club, club Allemand du Landseer.

Dans ce standard, on décrit bien deux variétés distinctes: tout d’abord celle du Terre-Neuve noir et ensuite l’autre, pouvant être noire avec des taches blanches, ou blanche avec des taches noires, soit un Landseer.

Donc, bien avant que ne soit créé le club du Terre-Neuve en Angleterre en 1886 et celui du Terre-Neuve pour le continent en Allemagne en 1893, le débat était déjà engagé sur la variété  « Landseer ».

Depuis la création de l’association du Terre-Neuve type Continental en Allemagne en 1893, les portées sont inscrites dans le livre d’élevage (livre d’origine). A partir de cette date, il est donc possible de remonter aux souches de certaines lignées de nos Landseer. Néanmoins, le Landseer restera encore, et ce, jusqu’en 1960,  une variété du Terre-Neuve avant d’être reconnu par la FCI (Fédération Cynologique Internationale).


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"Der erste Reitunterricht"  1870

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6. La renaissance du Landseer  TCE - l'influence des deux guerres mondiales sur son élevage

L’Allemagne, la Suisse et la Hollande seront les pionniers pour la renaissance du Landseer, chien au nom de peintre ... Il faudra bien des engagés, des mordus de la race, des années d’expériences et d’échanges internationaux pour retrouver le Landseer tel que nous le connaissons.

Les deux guerres mondiales, ainsi que les crises financières, feront échouer tout le travail entrepris par les éleveurs dont le but était de pouvoir reproduire avec des Landseer « 100% Landseer ». En effet, ces deux guerres laissent leurs traces dévastatrices sur l’élevage du Landseer en Europe. Les pertes sont énormes et le Landseer quasiment décimé. Les dégâts hérités des deux conflits mondiaux remettent en question toute l’Europe et l’élevage du Landseer n’est pas épargné.

Des éleveurs doivent se séparer de leurs chiens (Lunter), qui sont, entre autres, utilisés dans l’armée. D’autres doivent fuir avec leurs chiens les villes détruites et se réfugier chez d’autres amis éleveurs, en Autriche par exemple. La crise financière et la faim ont fait le reste.

Après toutes ces années d’expériences, d’échecs, de recherches, on  peut vraiment dire que le Landseer type Continental Européen avait trouvé ses racines. Le Club du Terre-Neuve sur le continent fut également dissous au début de la première guerre mondiale. Entre les guerres, les éleveurs pionniers du Landseer essayent et réessayent inlassablement de donner suite à une nouvelle population de Landseer. Ils éprouvent énormément de difficultés avec une base de reproducteurs très étroite et il est donc impossible de faire avancer l’élevage sans risque de consanguinité extrême.

Néanmoins, comme le phœnix qui renaît de ses cendres, une nouvelle base d’élevage renaîtra dans les années 1950, même s’il ne sera pas vraiment possible de supprimer complètement l’influence du Terre-Neuve dans certaines lignées.

Rappelons enfin quelques dates: 1893 voit naître le début du club du Terre-Neuve pour le continent (Neufundländer Club für den Kontinent) à Munich, et 1898 celui du premier livre des origines (NSB= Neufundländer Stammbuch).

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7. Un nouveau départ

C’est l’éleveur Hermann Lunter d'Entschede aux Pays-Bas, (élevage « Landseer-Heim ») qui, malgré les critiques concernant la consanguinité dans son élevage*, obtint de bons résultats en réussissant à renforcer les caractéristiques du Landseer. Beaucoup de ses chiens furent primés en exposition et il pouvait être satisfait d’avoir atteint son but premier: la reprise de l’élevage 100% Landseer.

Cependant, Heim fut déçu des résultats d’élevage. Les seuls sujets qu’il trouvait à son goût resteront les Landseer de la lignée de « vom Adlergarten », et éventuellement de celle de « vom Hinterberg ».

En remontant les pedigrees de tous nos Landseer sur plus de dix générations, nous retrouverons le nom de celle qui sera mère de la base de tous nos Landseer: Nora « vom Adlergarten ».

Un nouveau « pro » Landseer se profile en 1950: Emil Burkhard de Lucerne (Suisse), le représentant d’élevage au sein du club de race Suisse et Allemand. C’est un cynologue passionné, juge d’exposition renommé, également reconnu pour son engagement dans la reconnaissance du Landseer par la FCI. Il restera actif au Club, en temps que  contrôleur d’élevage de 1934 jusqu’à sa mort en 1973. Il travaillera toujours étroitement avec son ami Heim.



Albert Heim  (1849 - 1937)

C’est grâce à l’initiative de Burkhard que Heim fonde, lors d’une grande exposition internationale, le club Suisse du Terre-Neuve le 7 juin 1925.

En 1956, Burkhard et le club du Terre-Neuve Allemand font la première demande auprès de la FCI pour la reconnaissance du Landseer en temps que race à part entière. A l’époque, le Terre-Neuve et le Landseer étaient déjà jugés séparément en Suisse et en Allemagne pour le titre de champion national (CAC). C’est seulement pour le titre du CACIB (comptant pour le titre de champion international) que le Terre-Neuve et le Landseer sont des concurrents directs, la FCI ne reconnaissant pas encore la séparation des races.

Burkhard se bat pour la bonne cause. Il lui faudra bien du courage et de la persévérance pour que, finalement,  ses points de vue soient reconnus. Le texte français de description du Landseer fut rédigé par Burkhard, et le texte allemand, par Philipp Ernst, prince de Thurn et Taxis. Le 24 août 1960, la FCI (Fédération Cynologique Internationale) reconnaitra enfin officiellement, à travers la fiche n°226, le Landseer TCE.

Emil Burkhard

Outre l’élevage de Lunter, plusieurs élevages virent le jour en Allemagne: Appenroth, les frères Walterspiel, le Prof. Fehringer. Appenroth était plutôt convaincu par les idées de Lunter. Il gardera son engagement pour l’élevage du Landseer « pur ». 21 portées seront enregistrées entre 1937 et 1950. Il servira également de base pour un nouvel élevage, celui de Harald Diekmann à Wittingen (Allemagne): l’élevage « Von der Lüneburger Heide ».

Otto Walterspiel sera le spécialiste du Landseer pendant presque 40 ans  en Allemagne. Il reconnait que les débuts de l’élevage sont très difficiles. Il décide de croiser des Landseer  descendant de croisements avec des Terre-Neuve noirs et noirs/blancs, pour consolider la morphologie du Landseer. Il reprend le type Landseer que Heim avait critiqué bien des années avant.

Walterspiel essaie donc de faire de l’élevage Landseer en préservant la couleur. En fait, il se détache des idées de Heim et de Burkhard qui, eux, voulaient un Landseer 100% pur. Heim avait plaidé en 1927 pour que soit ajouté au standard du Terre-Neuve un point supplémentaire: variété et couleur, supplément décrivant le Landseer pour ne pas le confondre avec le Terre-Neuve. Cet ajout permettrait aussi de donner du courage à tous les éleveurs intéressés par le type Landseer anglais d’antan,  plus haut et massif,  ayant presque disparu après la guerre 14-18.

Walterspiel reste sur sa lancée. De plus, les Landseer et les Terre-Neuve restent des concurrents directs dans le ring des expositions. Il est normal qu’il ait essayé de s’adapter. Il préfère le Landseer type Terre-Neuve, un peu plus petit, plus massif. D’autres éleveurs garderont leurs préférences pour Lunter, Heim, et Burkhard en préférant le Landseer de type anglais, plus haut que le Terre-Neuve.

Voilà pourquoi, aujourd’hui, on arrive à retrouver différents types de Landseer que l’on classifie souvent selon leur élevage d’origine. On reconnait le type hollandais, le type Petersberg ou encore Heidenberg. Chaque éleveur a donc, en quelle que sorte, « son » type de Landseer.

A Wittingen, Diekmann continue l’élevage « pur », mais la consanguinité toujours plus étroite devient un problème qu’on ne peut plus ignorer. Il fera de l’élevage jusque dans les années 1980, mais  ses chiens n’auront pas eu d’influence sur le cheptel de la race, par manque d‘homogénéité. Walterspiel, lui, avait crée un Landseer type Terre-Neuve très populaire. Ses Landseer ont le caractère sympathique du Terre-Neuve et ils sont beaux, avec des taches très bien réparties.

On retrouve toutes ces lignées dans les pedigrees de nos Landseer aujourd’hui. Par exemple, Waterspiel utilise beaucoup de reproducteurs croisés Terre-Neuve et Landseer durant bien des années. Un de ses mâles est le champion Suisse Cyrill von Pawnee, issu de la lignée de Nora vom Adlergarten, lignée que l’on retrouve dans l’élevage de von Schartengerg. Tous les Landseer de nos jours ont cette parenté dans leur pedigree.

Deux reproducteurs exceptionnels (Clae vom Weinberg et  Duke van het Noorderstrand) serviront de base pour le DLC.

Walterspiel aura, de sa chienne Sissi, le mâle Basso von Schartenger, qui est le grand- père de Asta von der Schalksburg, qui n’est autre que la mère des portées A, E et G de l’élevage « von Petersberg », autre lignée Landseer allemande très réputée de nos jours.

Les élevages en Lituanie, Hongrie, République Tchèque, Pologne ne sont que quelques exemples des nouvelles possibilités d’élevage. Une nouvelle chance s’ouvre alors pour le Landseer, lorsque le rideau de fer tombe fin 1989.

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* on critiqua alors la consanguinité dans la race, ainsi que les croisements avec le Terre-Neuve noir, rendant le Landseer plus petit. A titre d'exemple, dans un rapport de juge, on retrouve en 1924 des données sur les tailles des chiens exposés:
- Bello von der Lärchenau: 62 cm
- Adonis von der Bischofgasse : 63cm
- Norma von der Färgenau: 64 cm
A l’époque, la base d’élevage était plus que restreinte: il était donc très difficile pour les éleveurs de travailler sur leurs lignées sans utiliser une consanguinité étroite.

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8. En Angleterre

En Angleterre, on retrouve les traces du Landseer dans des pedigrees remontant jusqu’en 1840. C’est un Anglais, Le Dr Gordon Stables qui attribue son nom à la race « Landseer » en 1880, afin de le différencier du Terre-Neuve (cf. '1880: de "Newfoundland dog" à "Landseer"').

Le premier club de Terre-Neuve en Angleterre futfondé en 1886. Le Landseer y est surtout considéré comme un chien de famille et n’est pas souvent présenté en exposition. On retrouve seulement 6 Landseer en exposition en 1860 puis près de 30 à 40 exposants entre 1886 et 1892. Par la suite, l’intérêt baisse un peu en exposition.

Dès 1900, il y aura de moins en moins de Landseer « purs » en Angleterre. Les races à la mode seront le Saint-Bernard puis le Terre-Neuve, lequel aura en peu de temps supplanté le Landseer. On notera qu’il existe en Angleterre un livre des origines depuis 1874.


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9. Aux Pays-Bas 

Aux Pays-Bas, Hermann Lunter de l'élevage « Landseer-Heim » (voir paragraphe « Un nouveau départ ») rencontre quelques problèmes avec le club de race du Terre-Neuve, présidé par Pieterse. Ce club fut créé sur les cendres du « Club du Terre-Neuve pour le Continent » après la guerre 14-18. Pieterse a rebâti l’élevage du Terre-Neuve avec 4 Terre-Neuve importés de bons élevages en Allemagne et d’un Landseer provenant d’Angleterre. Il pense qu’il est possible  d’intégrer le Landseer dans l’élevage du Terre-Neuve.

Il pratiqua une politique d’isolement qui, avec la consanguinité due à la guerre, apporta aux lignées hollandaises une constante morphologique très positive. Les qualités du Terre-Neuve se développent et les lignées de Pieterse resteront d’un haut niveau jusqu’au 20ème siècle.

Pieterse demeure un inconditionnel du Terre-Neuve noir, même s’il accepte le marron et  le noir et blanc. Accepter une lignée Landseer dans le Terre-Neuve noir et blanc ne représentait pas un problème pour lui, mais il était opposé au projet de Lunter de reprendre l’élevage « pur » Landseer.

Lorsque Lunter commence l’élevage avec Flora (voir paragraphe "La presse en parlait déjà … en 1929, 1937, 1948"), Pieterse lui propose une saillie avec un Terre-Neuve noir ayant des origines Landseer. Ce Terre-Neuve est l’aïeul du Landseer Rex Caesar von Terranova (livre des origines des Pays-Bas).

On essaye donc, en 1928, un mariage entre Flora et Caesar. 4 chiots noirs avec des petites taches blanches naîtront de cette union. Lunter n’est évidemment pas content du tout de ce résultat et suivra désormais sa ligne 100% Landseer.

S’ensuivent les querelles concernant la reconnaissance de la race du Landseer comme tel, et non comme une variété de couleur. Ces divergences au sein du groupe néerlandais sont importantes à connaître pour la suite de l’élevage. Comme aucune entente ne pouvait aboutir, chacun a agi suivant sa propre idée. Certains éleveurs de Terre-Neuve croisèrent leurs chiens avec ceux de Lunter, espérant ainsi produire des Terre-Neuve noirs et blancs, comme en Angleterre.

A cette époque,  deux mâles sont importés aux Pays-Bas: le  mâle noir Ch.Tom of Perrahow, né en Angleterre en 1950 (son père, Anglais également, était noir et blanc) et un mâle né en Finlande en 1956 qui, d’après le livre des origines, était aussi noir et blanc (les  photographies de l’époque le montrent néanmoins très moucheté, presque gris-noir).

Durant un moment, tous les éleveurs ont utilisé ces mâles comme reproducteurs. Pieterse perdit de son influence. Tous ces mélanges modifièrent l’aspect du Terre-Neuve. Le standard anglais du Terre-Neuve fut repris et changé par la FCI.

Il est important de parler du Terre-Neuve dans l’histoire du Landseer, puisque ces deux races resteront très liées dans leur évolution.

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10. En Suisse

C’est en Suisse que l’on obtient la première portée de Landseer « pur », c’est-à-dire dont les parents sont 100% Landseer, à partir de deux Landseer importés d‘Angleterre. On trouve dans leurs pedigrees des souches Landseer qui remontent  à 1879.

Néanmoins, on constatera aussi des mariages de Landseer avec le Terre-Neuve noir, pratique usuelle en Angleterre, car, sur l’île, rappelons-le, il n’y avait pas de distinction spéciale entre le Landseer et le Terre-Neuve.

L’éleveur Monsieur Meystre inscrira en 1902 une portée de 10 chiots nés à l’élevage « von Vevey » au bord du lac Léman. Cette année restera historique pour la continuité de la race du Landseer. En effet, c’est à cette date que nait la première portée qui fut inscrite dans le second livre des origines sorti par le « club du Terre-Neuve pour le continent », qui est la contrepartie du « Newfoundland Club » en Angleterre. A partir de là, on peut suivre le développement de l’élevage du Landseer Type Continental Européen. En 1904, une seconde portée naît à l’élevage « von Vevey ».

Il est important de noter que pour retrouver les traces d’une lignée, il faut se rappeler que le chien inscrit dans le livre des origines peut avoir été racheté par un éleveur, lequel peut lui redonner le nom de son élevage. Il reste donc très difficile de retrouver certaines origines si les chiens ont changé de propriétaire entre temps.

En 1905, il y aura deux nouvelles portées en Suisse avec, dans les deux cas, des chiennes importées d‘Angleterre: une à l’élevage « von Vevey » et l’autre à l’élevage « von Mollis » chez M. Schlittler-Laager. Après le décès de Mme Schlittler, son mari abandonne l’élevage « von Mollis ». Les chiens se retrouvent donc chez d'autres éleveurs, en Suisse (« vom Adelgarten ») et en Autriche (« Linz »).

Les sources du VLS (Association du Landseer Suisse) retracent le chemin de l’élevage en Suisse. D’après leurs données, Royal Princess Maud fut vendue à l’éleveur et peintre Höhnel à Linz en Autriche,  qui avait déjà importé de Suisse le mâle Rex von Mollis. Les frères et sœurs Tino et Miss von Mollis allèrent à Winterthur, chez Mme Sulzer-Bühler (élevage « vom Adlergarten »).

En 1917,  la première portée de l’élevage « vom Adlergarten » voit le jour par le mariage de   Miss von Mollis avec Pascha Major II, qui était en fait son oncle et était âgé de 11 ans. Malgré ce mariage 100% Landseer, il y eu des chiots blancs/noirs et blancs/bruns.

Dans le second livre des origines du DLC (Deutscher Landseer Club), on retrouve cette portée comme suit: Caesar blanc/noir, Lord blanc/brun, Pascha blanc/noir, Rex blanc/brun et Nora, la seule femelle de la portée, blanc/noir.

Les chiots blancs/noirs de cette portée deviennent par la suite de très beaux spécimens de la race. Ce sera la dernière portée de Landseer dit « purs »  sur le continent, car la guerre arriva ...

Près de 100 chiots virent le jour dans ces deux élevages suisses entre 1902 et 1913. Il est enfin intéressant de mentionner que la Suisse a su créer son propre club de race en 2010,  le LVS (Landseer Verein Schweiz).


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11. En Allemagne

C’est le 1er août 1976 à Bonn que des éleveurs et passionnés de Landseer décident de créer leur propre club de race, le DLC (Deutscher Landseer Club). Un petit groupe de passionnés ne se joindra pas à ce nouveau Club et restera au DNK (club du Terre-Neuve allemand) qui deviendra, en 1981, le VLD (Verein von Landseerfreunden und –züchtern in Deutschland), second club autonome de la race.

L’Allemagne de l’Est aura, elle aussi, ses  éleveurs de Landseer qui, en dépit de l’étroite consanguinité, permettront aux éleveurs de l’Ouest de retrouver  du sang « nouveau » pour leurs futures portées. Malgré son isolement dû à la situation politique, s’ouvre une nouvelle chance pour  l’élevage du Landseer TCE qui se trouve, à la fin des années 1980, de nouveau à un point de consanguinité très  étroit dans certaines lignées.


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12. La presse en parlait déjà ...  en 1929, 1937, 1948 

Revue Suisse du Sport Canin
16 mars 1929

"Mes Landseer"

"Si je décris ci-dessous mes tentatives d'élevage de Terre-Neuve et de Landseer, c’est à la fois pour expliquer aux personnes potentiellement intéressées par des chiots, et pour recevoir d'éventuels conseils prodigués par nos lecteurs.

Nous avons toujours eu des Terre-Neuve, mais depuis 1895, nous n'avons plus que des Landseer. Le premier, Caesar (von Menelik de Meyerba), était parisien d’origine, car il provenait de l’élevage de Mr. Pittel. En automne 1914,  âgé et sans force, il ne servait plus à monter la garde. Mr. Schlittler-Laager, ne pouvant pas nous trouver un remplaçant, nous demanda d’attendre janvier prochain.

Entretemps, il me prêta Miss, SHSB 9655, née en 1914. Bien que je n’avais jamais eu de chienne auparavant, je fus bien obligée de la prendre. Je ne l’ai pas regretté, car j’en ai vite découvert les avantages. Miss était très gentille et attachante. Elle m’accompagnait partout en ville et, comme les mâles sont en principe très galants envers les femelles, on n'avait aucun risque de bagarre … Ce qui est très valeureux pour une Dame. Aucune portée n'ayant pu voir le jour chez Mr. Schlitter-Laager (déjà à cette époque … ), j’ai gardé Miss.

En avril 1917,  je lui ai fait faire une saillie avec Pascha Major II NZB 792 qui habitait à l’époque à Wesen. Elle a mis bas 10 chiots le 7 juin 1917. Le premier, elle l’accoucha dans le parc. On l’a trouvé environ une demi-heure après la naissance. Le second est né devant sa niche, et ce n’est qu’après la naissance du troisième qu’elle daigna rejoindre la pièce prévue pour la mise bas. C’est là que sont nés sans complication les 8 autres jusqu’au lendemain. Ce fut un été bien chaud, et la croissance des chiots se passa très bien sans assistance particulière.

De ces dix chiots, il n’y avait que trois chiots blancs avec des taches noires qui étaient bien dessinés. Trois autres chiots étaient blancs avec du brun, et les autres étaient bruns avec un peu de blanc et de noir. Nous n'avons gardé que les six premiers pour les élever. Selon Mr. Schlitter, les bruns résultaient probablement du chien importé d’Angleterre (Kettering Scout, NZB788) et de Stella Maris, NZB 948, qui apparaissaient dans le pedigree. Ce couple était à la fois les parents du mâle reproducteur et les grands-parents de Miss.

La plupart de ces chiens sont décédés aujourd’hui. La femelle brun-blanc (Lady) fut volée à son propriétaire et a sûrement été tuée pour la viande, ce qui était probable à l’époque (automne 1917). Lord, un mâle brun et blanc, fut perdu par son propriétaire et a vraisemblablement connu le même sort. La femelle Nora partit rejoindre le Dr. Rickli à Langenthal. Le plus beau, Pascha, a appartenu jusqu’à sa mort à Mr. Sulzer-Forrer. Caesar, après de nombreux périples (son premier propriétaire était Mr. Pilsudski, un chef d’état polonais et Maréchal de Pologne), est revenu chez moi.

Pour cause de pénurie alimentaire,  nous n’avons pas eu de portée les années suivantes. En janvier 1920, j'ai essayé une saillie avec Miss et son fils Pascha, mais sans succès. De même, la tentative de saillie avec Caesar, envoyé exprès à Winterthur par Mr. Pilsudski, n'a rien donné. Durant l'automne de cette année, j’ai re-essayé avec Pascha sous les conseils de Mr. Schlittler, mais ça n’a pas marché non plus. Je suis ainsi retournée avec elle chez son frère, Tino von Mollis, près de Schlatingen où une saillie a eu lieu de suite. Bien que connaissant le lien étroit de parenté, il fallait essayer, puisqu’il n’y avait pas d’autre reproducteur à disposition ni de près, ni de loin … et Miss avait déjà 6 ans et demi. Elle mis bas, le 8 novembre 1920, deux mâles. Malheureusement, l’un des deux décéda huit jours plus tard. L’autre chiot, Darling vom Adlergarten (NZB 1812), j'ai dû l'élever au biberon, car la mère était trop malade (problème de reins). Nous avons néanmoins réussi à la sauver. Malheureusement, Darling avait dû hériter de ses mauvais gênes, car il est mort à l'âge de 3 ans d'un œdème.

Entretemps, j’ai été à la recherche d’une deuxième chienne pour l’élevage avec Pascha. Après de nombreuses investigations, démarches et tracas administratifs au niveau de l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne et l’Autriche, nous avons fini par trouver une chienne chez Mme Meta von der Hoya à Linz (Autriche): Bella von der Lärchenau, NZB 3169, née le 11 avril 1922. Elle arriva chez moi le 1er novembre 1922 à l’âge de six mois et demi, sous alimentée et très peureuse. De plus, elle était bien plus petite de taille que Miss. Je l’ai donc laissée exprès jusqu’à l’âge de 2 ans avant de lui faire faire sa première saillie.

Dans l'intervalle, j’avais réussi à racheter Caesar juste avant l’exposition de Zürich en 1923. Je l’ai présenté à la place de Darling, décédé 10 jours auparavant. Avec Pascha et Miss, nous avons gagné le prix d’élevage.

En 1924, j'ai démarré mes premiers essais d’élevage avec Bella. En juillet, on a raté le bon jour de saillie, car ni Pascha, ni Caesar, ne lui portait un quelconque intérêt. C’est toujours très difficile de déterminer les premiers jours des chaleurs. Par la suite, je l’emmenais toujours assez tôt chez le mâle. Avec Caesar, il était plus facile de déterminer la bonne date. En janvier, une nouvelle tentative de saillie avec Caesar a eu lieu, mais sans succès. Le 28 juillet 1925, saillie par Caesar, puis le 29, par Pascha: elle mit bas cinq chiots le 29 septembre 1925 de 10 h du matin jusqu’à 4 h de l’après-midi, et, la nuit suivante, deux autres chiots. Au matin, 2 chiots étaient morts, puis 3 autres le soir. Au 3ème jour décéda le 6ème chiot … Il ne resta plus qu'un mâle, Tobias vom Adlergarten (NZB3396). Ce dernier se développa très bien et rejoignit son propriétaire, Mr. Robert Sulzer-Forrer.

Ce fut très dommage pour cette portée, car les chiens étaient tous blancs et noirs, et très bien dessinés. C’était sûrement de notre faute, car nous avions bien préparé la caisse de mise bas, mais il y eut une période de froid. La caisse n’était pas assez isolée. J’avais pourtant pris les chiots et la mère dans la maison ... mais il était déjà trop tard. Je n'avais pas du tout prévu, après mon expérience réussie avec Miss, que la situation pouvait être compliquée. En 1926, j’ai fait faire deux saillies avec Pascha, mais sans succès. En octobre, par Caesar, et au printemps 1927, par Caesar et Pascha, chaque fois sans succès. Tobias avait 1 an et demi, il était donc trop jeune et désintéressé.

Pour ne rater aucune opportunité, j’ai acheté en passant par Linz en juillet 1927 Bilma von der Lärchenau de Mr. Petlwieser. Elle m’a été vendue comme étant une soeur de Bella, mais d'une portée postérieure. Ce n’est qu’après avoir recu le pedigree que j’ai constaté qu’il s’agissait d’une soeur de la même portée de Bella. Elle n’avait pas encore fait de saillie. Arrivée chez moi en août, elle était en chaleur: je l’ai présentée à Pascha, mais ce dernier ne supportait pas le comportement de la femelle, constamment sur la défensive, tandis que Tobias, avec ses 2 ans, restait passif.

En 1928, deux chiennes furent présentées à Tobias. En mars, c'était Bilma, mais comme ca ne marchait, cette dernière fut présentée au beau mâle noir de Mr. Müller à Winterthur. Comme elle n’avait encore jamais eu de portée, je voulais voir si elle en était capable. Le mâle en question, trop vieux, ne pouvait plus faire de saillie. Le 7 avril, le Dr. Scheitlin m’accompagna avec Bella rencontrer Tobias. Malgré l'aide d'un produit supposé doté de pouvoirs aphrodisiaquesça n’a pas marché. En automne j’ai ré-essayé de présenter Bilma à Tobias, mais celui-ci ne comprenait toujours rien … Par la suite, je l’ai  présentée à trois mâles noirs différents, mais ils étaient, soit trop vieux, soit trop jeunes … et pourtant, la chienne se présentait très bien. On me conseilla par la suite un bon reproducteur, Urs von Toggenburg. Comme les chaleurs étaient passées chez Bilma, j’ai décidé de présenter Bella à Urs. Les deux étaient bien intéressés: malheureusement, Urs était trop petit pour Bella, et au vu de son grand âge, il était vite fatigué.

Vous avez vu à travers mon récit que j’ai vraiment tout essayé pour ne pas laisser disparaître cette belle race qu’est le Landseer. Je vais retourner voir Tobias. Vu que son père Pascha n’a commencé à faire des saillies qu'à l’âge de 3 ans, ca fonctionnera peut-être avec Tobias, qui va avoir 3 ans et demi. C’est un très beau mâle et, de loin, le seul. Je serai très contente de pouvoir vous annoncer quelques bonnes nouvelles cet été. Si l'un de nos lecteurs a une bonne idée ou quelques bons conseils, je suis à son écoute et apprécierais de recevoir rapidement de ses nouvelles, car les prochaines chaleurs de mes chiennes sont attendues pour mars. Par avance, un grand merci !"

Dr. Sulzer-Bühler, Winterhur (Suisse) 

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Journal régional de Delmenhorst (Allemagne)
25 septembre 1937

"Que du bonheur à l’élevage du Landseer à Delmenhorst ! La seule portée en Allemagne et probablement de toute l’Europe ... Ce n’est pas exagéré de dire que les yeux de tous les éleveurs d’Allemagne et d’Europe se portent actuellement sur l’élevage de Delmenhorst, un élevage de passionnés où des chiots blancs et noirs jouent autour de leur mère si attentionnée. Cette portée est peut-être la seule au monde, tellement ces chiens sont devenus rares ... On peut les compter sur les doigts d'une main, ou alors, on en trouve tout au plus 15 exemplaires.

Certains diront que c’est beaucoup de bruit pour "quelques chiens". D’un autre côté, il faut vraiment saisir l’occasion de découvrir cette race qui le mérite bien. Le "Landseer", nom du peintre animalier anglais Sir Edwin Landseer qui en a brossé de nombreux portraits, fait partie de la grande race des chiens de Terre-Neuve.

Ce sont leurs origines qui leur ont conféré ce nom et c’est de là où, il y a quelques siècles, ils ont conquis le monde entier. Dans leur pays d’origine, les chiens de TN étaient principalement  utilisés  comme chiens de travail. Adorant l’eau, ils aidaient les pêcheurs à tirer les filets sur la plage. Grâce à leur corpulence (tout en muscles), ils participaient en été au tractage des charrettes, et en hiver, ils tiraient à plusieurs les traîneaux. Ils furent honorés dans le monde entier, car leur intelligence et leur fidélité vis à vis de l’homme furent appréciées de partout. Ils furent vendus dans toutes les Cours à des prix considérés pour l’époque comme très conséquents. On y trouvait l’élégant chien de TN blanc et noir qu’on appelle aujourd’hui Landseer et, plus tard, le TN noir, qui prit le dessus sur le Landseer. Depuis près de 40 ans, le Landseer avait disparu et on en était désolé en admirant le tableau du célèbre peintre anglais de ne plus pouvoir faire d’élevage avec ce chien qui avait tant de qualités.

Le Landseer devint aussi célèbre puisqu’il apparut au moins deux fois dans le cours de l’Histoire. Lorsque Napoléon a fui l’Ile de Sainte-Hélène à bord d’un bateau, il a trébuché et est tombé par dessus bord. Personne au niveau de l’équipage n'a remarqué l’incident, et Napoléon se serait noyé, si un chien de TN blanc et noir n’avait  pas hésité à sauter à l’eau et à sauver le naufragé en le tenant et en aboyant afin que l’équipage se rende compte du danger. Que se serait il passé, ou non, si Napoléon s’était noyé à l’époque ? Ce même chien se  retrouva plus tard lors de discussion politiques entre les représentants Prussiens et d’Angleterre qui voulaient garder les discussions secrètes vis à vis du représentant de la France. Un jour, le représentant Prussien a perdu un document très important. Le chien de Terre-Neuve le trouva et le ramena à son maître, le représentant de la France. C’est ainsi que les négociations secrètes échouèrent ...

Il est aussi intéressant de rappeler comment on a pu sauver cette race en voie de disparition. Ce qui s'est passé est presque un conte de fées. Un éleveur hollandais, H. Lunter, qui aurait sauvé cette race, raconte l’histoire de la mort de sa mère qui l’avait tant touché. Il découvrit alors une chien attachée à une chaîne chez son voisin, trouva en elle une amie fidèle et la racheta sans avoir aucune idée qu’il s’agissait là d’une Landseer. C’est le hasard qui le fit rencontrer plus tard un expert canin. La chienne prit part à des expositions et devint une vraie révélation. Le prochain hasard fut la connaissance d’un mâle Landseer qui devait vivre à l’époque en Autriche. H. Lunter décida de s’y rendre et c’est là qu’eut lieu la seule saillie des derniers Landseer en vie connus à ce jour. En même temps que cette portée, une deuxième, venue au monde un peu plus tôt, fut découverte et déclarée comme rarissime dans un zoo de Heidelberg.


H. Lunter et sa chienne embarquant pour l'Autriche

La portée de Delmenhorst est, après celle de H. Lunter, la dernière au monde à ce jour. La magnifique chienne "Mira" de l’élevage "Nordwest" à Delmenhorst a mis bas 11 chiots en bonne santé. Grâce aux efforts de l’éleveur, tous les chiots grandissent très bien. La mère s’occupe de 6 chiots tandis que les 5 autres sont pris en charge par une  "sage-femme" berger allemand qui habite un domaine proche.

Quand on pense à toutes les races pour lesquelles l’on fait actuellement du "sur-élevage", il est réconfortant de trouver des éleveurs du Landseer, qui essaient non seulement de sauver la race, mais veulent de plus, retrouver les origines de cette race, incluant toutes ses qualités, qui vivait il y a bien longtemps sur cette île d’Amérique du Nord. Il faut aussi dire qu’il n’y a aujourd’hui plus de Landseer  sur l’île de Terre-Neuve, et que la race du TN, pourtant bien répandue dans le monde entier, semble ne plus exister dans sa patrie d'origine.

Il serait trop long de décrire ici toutes les qualités du Landseer. Nous laissons le soin au célèbre poète Lord Byron de citer ces quelques lignes consacrées à son chien de TN blanc et noir décédé:

Près de cet endroit
Reposent les restes d’un être
Qui posséda la beauté sans la vanité,
La force sans l’insolence,
Le courage sans la férocité,
Et toutes les vertus de l’homme sans ses vices.

Ce fut un chien de TN blanc et noir existant il y a plus de 100 ans, et c'est lui qu'on retrouve aujourd’hui ou, mieux, de nouveau aujourd’hui." 

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Journal régional de Twente (Pays-Bas)
18 octobre 1948

"Frédéric Guillaume Victor Albert de Hohenzollern (1859-1941) fut le dernier empereur allemand et dernier roi de Prusse de 1888 à 1918.

Lors d'une visite à Londres en 1912, le Kaiser s'est vu offrir par le Duc de Norfolk deux Landseer qu'il ramena pour peupler le chenil impérial. Sa Majesté, enchantée par cette race relativement rare, les emmenait partout lors de ses parties de chasse, et les fit également reproduire. Guillaume II s'étant exilé aux Pays-Bas après la défaite allemande de la 1ère Guerre Mondiale, peu de nouvelles nous sont parvenues de ces Landseer .


Guillaume II d'Allemagne avec un de ses Landseer (carte postale datant de 1919)

Au début des années 20, la famille Lunter, qui possédait une fabrique de matelas située à Enschede (Pays-Bas), avait parmi ses employés un homme originaire de Gronau (ville allemande proche de la frontière avec les Pays-Bas). Rentrant régulièrement en Allemagne, cette personne y a acheté un jour une chienne souffrant de malnutrition pour une somme modique. Grand ami des animaux, Herman Lunter lui racheta la chienne, qu'il nomma Flora. Se promenant un jour en ville avec cette dernière, H. Lunter rencontra un certain Donia, Président de la Société pour la Prévention de la Cruauté envers les Animaux. Celui-ci lui apprit que Flora était une Landseer, race confidentielle que peu de gens avaient eu l'occasion de voir, si ce n'est en photo. Intrigué, H. Lunter se renseigna auprès de son employé sur les origines de sa chienne. Il apprit alors que cette dernière avait été achetée à un brasseur de Rosenheim (Allemagne).

Profitant d'une opportunité, H. Lunter débarqua un jour chez ce brasseur où il découvrit un tapis dans l'entrée, ainsi qu'un autre dans le séjour, réalisés à partir de fourrures de Landseer ... Nos patapoufs B&N ont malheureusement payé un lourd tribut durant la famine qui a ravagé une partie de l'Europe pendant la Grande Guerre ... Une courte explication a ensuite permis à H. Lunter de comprendre que les Landseer du chenil royal avaient atterri à Rosenheim sans que quiconque ne sache qu'il s'agissait de chiens rares.

Par la suite, parallèlement à la présentation de Flora dans des expositions, H. Lunter se mit en contact avec d'éminents cynologues comme le Professeur A. Heim pour échanger au sujet de cette race quasiment disparue. Apprenant un jour par un juge d'exposition l'existence d'un mâle Landseer en Autriche, H. Lunter s'y rendit en 1929 avec Flora, âgée de 8 ans à l'époque, pour une saillie, puis il continua à ferrailler durant de nombreuses années (en particulier contre les partisans anglo-saxons du "Tout TN")  afin de produire des Landseer possédant des caractéristiques bien à eux.

On peut ainsi, et sans équivoque, citer H. Lunter comme l'un de ceux sans qui la race des Landseer TCE n'aurait jamais pu être reconstruite." 

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13. Quel avenir pour nos Landseer ?


On dénombre depuis 1960, date à laquelle le Landseer fut reconnu officiellement comme race à part entière par la FCI, de plus en plus d’associations qui essaient de se faire reconnaitre club de race du Landseer, pour échapper à l’emprise des clubs du Terre-Neuve.

Une idée est en discussion actuellement, afin de créer un club au dessus des clubs (European Union of Landseer ECT Clubs). Un peu comme à l’époque le club du « Terre-Neuve sur le continent » mais aujourd’hui, naturellement, rien que pour le Landseer. Proposer des directives communes d’élevage à tous les pays permettrait d’élargir la base d’élevage et éviterait ainsi de retomber dans les problèmes de consanguinité, en utilisant, par exemple, des mâles étrangers conformes à ces directives.

L’idée est très louable. Néanmoins, chaque pays ayant ses propres normes d’élevage, le projet risque d’être long à aboutir. Une rencontre annuelle a lieu depuis quelques années à Dortmund en Allemagne, où sont invités les représentants de tous les clubs de race du Landseer en Europe. Le but est d’échanger les expériences de chaque club et d’harmoniser les directives en Europe. Cela  concerne, par exemple, les contrôles santé (dysplasie, cystinurie, ...) en vue d'améliorer la race.

L'existence de clubs de race dans la plupart des pays et leurs échanges internationaux, l’élevage contrôlé et bien suivi à travers les livres des origines de chaque pays, devraient permettre aujourd’hui de mieux surveiller l’évolution du Landseer.

Comme le phœnix, le Landseer renait de ses cendres et retrouve, grâce à tous les amoureux de cette race, de nouvelles racines.

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